dimanche 17 novembre 2019

Chemin du rêve... tableau de Dave Ross Pwerle

Aujourd'hui, à l'occasion de la recherche sur internet d'oeuvres de l'artiste Dave Ross Pwerle je suis tombé par hasard sur la magnifique oeuvre exposée au Musée de Lyon.
Il s'agit d'un tableau majeur réalisé par le peintre en 1991. Avec une taille de 5 x 1,2m, tout à fait hors du commun.

Jamais je n'avais eu l'occasion d'observer cette peinture en détail. L'occasion est rare, grâce à une exposition temporaire de la mairie de Toulouse et la mise en ligne de l'image.
Je me permets de la reprendre sur ce blog, à titre documentaire.

J'évoquais également quelques autres oeuvres de l'artiste sur le blog :
le tableau du Musée du Quai Branly, "le business des hommes", le rite de l'igname, ou d'autres chemins du rêve...

© Chemin du rêve, par Dave Ross Pwerle, Muséum – Lyon. Inv° 2004.10.13. ©

Entre continuité et attente : les peintures de Spinifex

Cela faisait des mois d'attente. Le temps nécessaire pour finaliser l'acquisition de 4 peintures, deux de chez Papunya déjà présentées ici ou , une de Daniel Walbidi, et une autre de Lydia Balbal. D'une certaine façon, cet effort significatif et perlé mensuel habite les mouvements d'une collection.
Il y existe ce mélange subtil entre une découverte presque quotidienne de nouvelles toiles, la frustration d'effectuer des choix, la tension positive de prendre une décision, l'altérité convenue d'une éventuelle négociation... puis l'attente longue, fort longue avant de recevoir ces chefs d'oeuvre de l'Australie noire.

A chaque fois j'hésite entre faire une pause ou continuer. Un banquier serait heureux du premier choix. Un collectionneur y aurait presque l'impression d'une petite mort.
Avant d'acquérir cette peinture de Spinifex en photo ci-dessus, j'étais au coeur de ce dilemme. Faire une pause estivale ou se lancer à nouveau. Comme à chaque fois, j'ai ressenti comme un vide, un arrêt, dans cette logique de réflexion. La potentielle fin d'un direction engagée depuis déjà quelques 5 années.

Je regardais avec attention les créations du mouvement du Spinifex Art Project depuis un certain temps déjà, à la fois pour leur dimension artistique et politique. Elle a été établie en 1997 sous le concept de "Spinifex Arts Project". Dans ce cadre, avec l'ensemble des femmes et des hommes de cette communauté, une plainte a été formulée devant la "Federal Court" en novembre 2000, afin de signifier par la peinture leurs liens et leurs droits sur leur terre.
Ce fut un succès ! Dix de ces oeuvres fondatrices figurent aujourd'hui au Western Australian Museum.

Par son envergure importante, cette toile engloutit totalement le regard. De près l'ensemble de la vision est absorbée par cet ensemble paysagé, traversé par un rêve associé aux serpents.
Dans un jeu contrasté et harmonieux de couleurs et de motifs soignés, une carte topographique émerge.
Elle porte le témoignage d'un mythe ancestral, tout en soulignant la force de la communauté avec le travail collaboratif de cinq artistes : Roy Underwood, Ned Grant, Ian Rictor, Byron Brookes et Lenard Walker.

Encore une fois, entre continuité et attente, le choix ne fut pas trop long.

Réception : mariage accompli entre deux océans de sable et d'eau

Aujourd'hui je viens de recevoir ma dernière peinture de Daniel Walbidi. Enfin ! Cela faisait des mois que je l'attendais. D'ailleurs, je n'avais pas résisté au fait de la présenter par anticipation, ici sur le blog. Désir et attente. Tout un programme.

Comme à chaque fois, l'ouverture du paquet offre son lot d'étonnements. Les trois emballages successifs, dans l'esprit poupée russe, ont tous été ouverts par la douane française, un des hubs depuis le début du parcours à Singapore. Un peu comme une violation d'une propriété ou d'un trésor. Mais bon cela fait partie des règles du jeu. Respect.

Je la vois enfin en face. La toile ne m'est pas étrangère. Je l'ai tant de fois scruté, analysé, décortiqué... On pourrait même dire qu'elle m'est sympathiquement familière.
Le charme opère...

Il y a de l'audace dans cette oeuvre à travers les jeux subtiles entre les teintes hespéridées.
Ce tableau est un tournant, un témoignage de l'émotion ressentie par l'artiste lors de sa visite du pays de ses ancêtres fin 2007. Dans ce paysage désertique il fut marqué par ces filets de grains d'or au creux des dunes. On perçoit la fougue d'un jeune talent. Il explore les possibilités du média et y conjugue l'écume des vagues à celle dorée de la peau du désert.
Je reste rêveur quant à ce mariage accompli entre deux océans de sable et d'eau, à ce clin d'oeil entre le passé et le futur d'une communauté, entre continuité et rupture des codes visuels.

jeudi 4 octobre 2018

Miny’tji - Essence of the Land • Art Aborigène de Yirrkala - Arnhem Land

Trois œuvres magistrales de l'artiste Noŋgirrŋa-Marawili (1938). Titres de gauche à droite : Gurtha (189 x 86 cm), Djapu (203 x 91 cm), Yathikpa (190 x 78 cm). Media : natural ochres on bark. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery with the courtesy of the artist and Yirrkala community.


Une rare exposition d'art Aborigène d'Australie, à ne pas manquer sur Bruxelles.
Du 26 septembre au 20 octobre 2018 au sein de la galerie Aboriginal Signature Estrangin.

40 écorces peintes et 12 pôles de cérémonie (Larrakitj), réalisées par 20 grands artistes indigènes de la communauté de Yirrkala tout à fait au nord de l’Australie, sont réunies pour l’occasion, avec des œuvres remarquables de l’artiste Barrupu Yunupiŋu (1947 - dec.), Napuwarri Marawili (1967) gagnant cette année 2018 du grand prix sur écorce au Musée de Darwin (NATSIAA-TELSTRA Award), Noŋgirrŋa Marawili (1938) avec plusieurs peintures fondamentales et rétrospectives sur sa carrière, Wukun Wanambi (1962) finaliste cette année du Telstra - Natsiaa Award, et une rare œuvre de l’artiste Gulumbu Yunupingu (1942 - 2012) qui fut invité par l’architecte Jean Nouvel et le gouvernement Français à peindre un des plafonds du Musée du Quai Branly à Paris.

Trois œuvres de l'artiste Barrupu Yununpingu. Gurtha. Media : natural ochres on bark. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery with the courtesy of the artist and Yirrkala community.
 A base de pigments naturels apposés sur des écorces d’eucalyptus, leurs peintures traditionnelles reflètent avec une saisissante intimité et sensibilité l'univers spirituel si particulier de la Terre d’Arnhem.

Très attachée à la transmission du savoir entre les générations, la galerie présentera également de magnifiques écorces des artistes parmi les plus jeunes de la communauté, nés entre 1970 et 1990. Dignes héritiés de leurs pairs, ils expriment la savoir dont ils sont les gardiens avec une infini finesse comme dans les œuvres de Djurrayun Murrinyina (1974) et Rerrkirrwaŋa Munuŋgurr (1971).

Vous pouvez retrouver :

1. la liste des œuvres d'art Aborigène exposées ici :
http://www.aboriginalsignature.com/minytji-essence-of-the-land-art-aborigne-yirrkala-arnhem-land

2. Un bel article du manager du centre d'art Aborigène de Yirrkala ici :
http://www.aboriginalsignature.com/news-aboriginal-signature-art-aborigene/minytji-essence-of-the-land-by-will-stubbs-art-aborigne-de-yirrkala



Ouverture du Jeudi au Samedi de 14h30 à 19h, à la galerie : 
101 rue Jules Besme, 1081 Bruxelles. 
Et sur RDV tous les autres jours (+32 (0) 475 55 08 54).

mardi 6 mars 2018

Voice of the custodians of the Homeland : les artistes Aborigènes de Martumili

ue de l'exposition d'art Aborigène "Voice of the custodians of the Homeland" à la galerie à Bruxelles en partenariat avec les artistes Martu (Western Australia). De gauche à droite, 3 œuvres de l'artiste Mabel Wakarta (1929), puis à droite deux œuvres de l'artiste Nora Nungabar (1920). Retrouvez les artistes Aborigènes ici. © Photo Aboriginal Signature Estrangin gallery, with the courtesy of the artists and Martumili artist.

Après ce long silence sur le blog, je suis ravi de partager avec vous quelques nouvelles. depuis maintenant 4 ans après tout un cheminement de collectionneur, je suis très engagé dans la galerie Aboriginal Signature Estrangin à Bruxelles lancée en juin 2014.

En ce moment et jusqu'au samedi 10 mars une magnifique exposition se tient à Bruxelles avec les artistes de Martumili, princes de trois déserts, à l'ouest de l'Australie.

Dix femmes initiées, nées entre 1920 et 1955, partagent ici l'intensité de leurs savoirs liés aux rites Aborigènes et cheminements nomades sur les pistes chantées du Great Sandy Desert. En 1906 leur peuple fut profondément bousculé par Monsieur Canning. Cet européen voulait tracer une piste de transhumance de 1800 km (la plus grande au monde) pour acheminer de la viande et des troupeaux des plaines du Kimberley vers la région de Perth. Pour découvrir les trous d'eau vénérés par les Aborigènes, ils forcèrent le peuple indigène Martu de multiples façons.

C'est dans ce même territoire immense, mais bien plus tard en 1960, que la majorité des artistes de l'exposition à Bruxelles, rencontrèrent pour la première fois de leur vie les européens dans le désert.

Pour la galerie, c'est la 32e expositions thématique et curatoriale organisée ici, dans une démarche unique en Europe. C'est un privilège et aussi un challenge quand on songe que ces œuvres ont parcouru plus de 17 000 kilomètres avant d'atteindre nos contrées. Par bateau ou avion, elles rejoignent nos cieux pour offrir une vision complète de la diversité et de l'amplitude de ce mouvement artistique.

Depuis 4 ans, j'ai arpenté et traversé plus de 18 000 km en 4x4 à la rencontre des communautés Aborigènes et des plus grands artistes du pays. Ces moments de partage et d'échange sont précieux et offrent l'occasion de sélectionner in situ ces œuvres au plus proche des lieux sacrés où vivent les Aborigènes du nord au sud du pays.

Ce lien à leur territoire, irremplaçable, donne une résonance particulière aux peintures. On peut sentir à quel point les artistes Aborigènes convoquent au présent sur leurs toiles les histoires du Temps du Rêve avec lesquelles ils ont encore une profonde intimité.

Dans une dynamique imprégnée par des millénaires en tant que chasseurs-cueilleurs, les artistes partagent le fruit des ventes des œuvres avec les autres membres de la communauté. Cette ressource économique permet ainsi aux Aborigènes de vivre avec une certaine autonomie préservée dans les lieux les plus éloignés d'Australie, même si le gouvernement cherche encore aujourd'hui à réduire ces implantations qui font pourtant sens.

Chaque œuvre réalisée dans la communauté et les centres d'art, permet aux plus jeunes d'observer, d'entendre et surtout d'apprendre les histoires ancestrales que les anciens cristallisent sur la toile. Après avoir passé des années dans une autre vie, à gérer la connaissance dans un groupe industriel, je reste très sensible à ce mouvement artistique qui permet depuis 1969 de préserver une culture et d'assurer le transfert de la mémoire aux jeunes générations.

L'année 2018 sera encore extraordinaire à Bruxelles, avec de nombreuses expositions et salons qui s'enchaîneront tout au long de l'année pour présenter la diversité et l'excellence des artistes Aborigènes de plus de 15 communautés, parlant encore plus de 80 langues.

Certaines d'entre vous ne sont pas tout près de la Belgique. Aussi, nous exposons de temps à autres également à Paris au sein du Parcours des Mondes en Septembre.

Comme si vous y étiez, je vous invite à visionner la vidéo de l'exposition d'art Aborigène en cours à la galerie : "Voice of the custodians of the Homeland" avec les artistes Aborigènes de Martumili.

Cette année je tenterais de vous tenir au courant des autres expositions de la galerie qui outre ses activités intrinsèques s'affirme également comme un centre culturel dédié aux Aborigènes d'Australie et accueille un public très varié d'écoles d'art, d'associations ou de plus jeunes élèves.

lundi 7 décembre 2015

Vers une galerie d'art Aborigène : Aboriginal Signature à Bruxelles

Peintures d'art Aborigène. Galerie Aboriginal Signature. Artiste : Ningura Napurulla. © With courtesy of Papunya Tula Artists.
Le blog "Sur les pas d'une collection" a été lancé il y a presque 10 ans. Engagé depuis 2003 dans une collection d'art Aborigène d'Australie, je souhaitais partager plus largement mes découvertes et enthousiasmes avec un plus large public, avec une idée en tête : un collectionneur ne possède pas, il n'est qu'un témoin et un passeur. Garder les œuvres que pour lui aurait été présomptueux, presque égoïste. Je souhaitais partager ces œuvres plus largement, les faire découvrir au delà de mes cercles, susciter l'intérêt, leur donner un autre écho.

Au fil des années j'avais également prêté une partie des œuvres de ma collection à différents musées en Europe, comme l'AAMU (Musée d'Art Aborigène contemporain à Utrecht), le musée d'Aquitaine à Bordeaux, l'Abbaye de Daoulas en Bretagne... Ces occasions étaient de belles opportunités pour les artistes comme Lydia Balbal, Daniel Walbidi, Weaver Jack, Sonia Kurarra, Jan Billycan et bien d'autres... peu visibles en Europe et pourtant si importants dans l'art Aborigène.

Jamais je n'aurais pu imaginer que ce parcours de collectionneur change mon regard, mes engagements et des chemins de vie. Aujourd'hui après près de 400 billets publiés sur de multiples sujets, il est temps de vous annoncer que ce blog va passer la main pour d'autres projets.
Je l'avais d'ailleurs un peu délaissé depuis plusieurs mois, bien occupé par d'autres entreprises.

Je n'osais cependant pas franchir le pas : celui du collectionneur passionné qui ouvre une galerie d'art dédiée à l'art Aborigène en Europe.
Puis ce choix s'est imposé naturellement au fil des mois pour devenir un engagement solide pour défendre et promouvoir de façon éthique les différentes communautés artistiques disséminées sur ce territoire aussi grand que 251 fois la Belgique.

La galerie Aboriginal Signature voyait le jour en 2015, fort d'une expérience de presque 15 ans sur les pas d'une collection, et de partenariats solides avec les communautés Aborigènes. Avec une idée en tête : offrir en Europe une vision plus complète, plus large de la diversité de ce mouvement d'art contemporain, comparable à ce que l'on peut voir dans les grands musées Australiens.
A plusieurs reprises au fil de l'année un programme d'exposition innovant met à l'honneur des communautés et des artistes Aborigènes phares, dont certains n'ont jamais été présentés en Europe. C'est un bien beau challenge. Souvent les visiteurs sont surpris car ils voient des peintures d'art Aborigène au delà du pointillisme des régions d'Utopia et Papunya qui occupent les ondes ou le marché. Certains sont déboussolés, d'autres se laissent apprivoiser. C'est passionnant car ils touchent ainsi la réalité et vitalité multiple de ce mouvement artistique.

La galerie est ainsi devenu plus largement un lieu d'échange et de partage des talents de ce peuple aux savoirs millénaires uniques au monde. Les rencontres inattendues avec les visiteurs sont souvent bien passionnantes. Des concerts ou conférences y sont également organisés en soirée et renforcent la vie de ce lieu dédié aux Aborigènes d'Australie.

Par ce billet j'aimerais vous remercier chers lecteurs pour votre intérêt et votre fidélité au fil des années. Ce fut un privilège pour moi d'être accompagné par vous, de recevoir vos encouragements ou questions. Un immense merci !

Si dans le futur vous souhaitez passer à la galerie vous serez toujours les bienvenus.
Vous avez également la possibilité de rester au courant de nos projets, expositions à venir, ou actualités de l'art Aborigène, en vous inscrivant à notre newsletter de la galerie.

De mon côté, je vous souhaite une belle route autour de l'art Aborigène d'Australie et vous dit bien volontiers à bientôt ici ou ailleurs.

samedi 11 avril 2015

Art Aborigène : le choix entre diamants de sang ou diamants propres ?

Chers lecteurs,

Ces derniers temps, j'ai un peu délaissé ce site "Sur les pas d'une collection d'art Aborigène", pour une bonne cause cependant.
Au fil des années, j'ai souhaité partager avec vous mes découvertes, enthousiasmes, questionnements sur ce mouvement d'art contemporain.

L'art Aborigène en 2015 prend une place de plus en plus importante dans l'histoire de l'art, avec deux expositions majeures en Europe et en Amérique du Nord :
- Indigenous Australia : Enduring Civilisation au British Museum, en avril prochain
- Une exposition au Musée des Civilisations du Québec, en Octobre prochain (pas encore affichée sur leur site)

Deux ventes aux enchères récentes soulignent la vitalité de ce marché, dont la vente Laverty chez Deutscher & Hackett le 8 mars 2015, avec 99% des lots vendus, et des prix à 170% par rapport aux évaluations initiales. Je suis toujours triste quand une collection importante comme celle des Laverty est en partie disséminée. Elle avait sa cohérence...

De nouvelles ventes importantes de collectionneurs européens renommés sont annoncées cencore en 2015 dans quelques mois. Nous assistons vraiment à un changement de génération, qui souligne cependant la maturité de ce mouvement artistique contemporain qui ne cesse de se développer.

La question de la provenance des œuvres reste toujours clefs et difficilement compréhensible sur le marché européen et Australien par ailleurs depuis quelques années, avec des pièges pour le commun des mortels.
Les artistes aborigènes ayant été tellement abusés dans le passé par des dealers peu scrupuleux, les toiles en provenance directe des artistes, conduisent souvent à beaucoup de méfiance de la part des grandes institutions et maisons de vente aux enchères.
Plus il y a de photos ou de vidéos de l'artiste au travail, plus il convient de se méfier, les artistes n'étant que rarement favorables à ces étalages. Certains artistes ont même dernièrement étaient amenés à poser devant des toiles inspirées de leurs travaux, sans qu'ils en soient l'auteur. Il convient donc d'être prudent.

En Australie, il faut savoir que les maisons de vente aux enchères les plus établies pour l'art Aborigène comme Sotheby's, Deutscher & Hackett, Bomhals... n'acceptent de façon générale que la provenance des Centres d'art Aborigène.
Ces centres agissent comme des coopératives artistiques. Ils sont établies sur les territoires aborigènes, et sont dirigés par les communautés aborigènes elles-mêmes. Ces engagements collaboratifs permettent le partage de connaissance, la formation des plus jeunes artistes, et la transmission de la culture aux jeunes générations.
Ces écoles d'art responsables jouent aussi un rôle déterminant pour apporter des ressources aux communautés aborigènes établies au sein des territoires ancestraux, ce qui est crucial aujourd'hui, avec le gouvernement australien qui souhaitent fermer plus de 150 communautés Aborigènes dans l'Outback.

Pour certains artistes n'ayant pas produit en centre d'art, la problématique est plus subtile. Certaines références comme la galerie Australis, ou Delmore, sont en générale acceptées pour Utopia...

D'autres artistes produisent à la fois en centre d'art et en dehors, pour répondre aux demandes insistantes des dealers. Un regard exercé pourra faire la différence en terme de qualité d'exécution en général, de palette de couleurs, de matériaux utilisés...
D'autres artistes n'ont jamais produits en centre d'art, ou les ont quitté sous les sollicitations d'autres acteurs... Dans ce cadre il existe alors peu de repères à part votre œil et le cadre dans lequel la peinture a été exécutée si vous pouvez le vérifier auprès du marchand...
Si certains dealers aujourd'hui ont adopté des pratiques un peu plus saines heureusement dans le cadre de "l'indigenous art code", il existent encore cependant sur le marché des œuvres onéreuses pour lesquelles l'artiste a reçu bien peu au départ, ce qui pose un problème éthique évident.

Si l'on comparaît cela au marché du diamant, c'est un peu comme les diamants de sang, issus de démarche non éthiques comme la guerre et souvent refusés par les grandes maisons, et les autres diamants dont les provenances sont bien tracées. Il y a toujours un vrai diamant d'un côté comme de l'autre : mais l'un est accepté et l'autre refusé.

Dans le domaine de l'art, on s'intéressera aussi dans la même logique au pedigree d'une pièce. Un provenance "noble", notable, donnera plus de valeur à une œuvre, qu'une provenance douteuse ou non éthique. Regardez un instant la valorisation des objets d'art venant des meilleurs sources, ou de collectionneurs connus...
Pourquoi cela serait différent pour l'art Aborigène ?

Aussi à chaque fois que vous le pouvez, il convient toujours de privilégier la provenance des centres d'art. Vous ferez un geste éthique, disposerez du meilleur niveau de qualité pour les œuvres, souvent à un bon prix, et vous encouragerez la pérennité des communautés Aborigènes dans l'Outback. Pourquoi devrions nous, nous en priver ?

Un jour cela changera peut-être... L'émotion face à une œuvre peut sans doute excuser une provenance fragile, juste comme une exception. Mais si vous collectionnez l'art Aborigène de façon durable, la provenance centre d'art reste encore aujourd'hui l'approche la plus prudente et la plus sérieuse.

mardi 30 décembre 2014

Immensité et incandescence des voies ferrées australiennes - meilleurs voeux 2015

L'infini d'une ligne de train privée, prise d'un pont à Cober Peddy (Australie), par le photographe Dominique Houyet ©

Un soir cet été, alors que je revenais d'un périple de 5 jours en petit avion dans la région centrale de l'Australie, je rencontrais de façon inattendue le photographe Dominique Houyet.
Nous avons passé la soirée avec son épouse, dans sa maison troglodyte sous une colline de Cober Peddy, ville minière presque lunaire à la conquête de l'opale.

Je découvrais après le repas les photographies prises par Dominique auprès des mineurs.
Dans les sous-sols de cette terre marbrée de rouge, jaune et blanc, les machines monstrueuses prennent la forme d'animaux sauvages. Les visages et corps des mineurs, semblent irréels, puissants, presque mécaniques tant ils se marient avec l'outillage sous la pâleur des lampes.

Nous passons à une autre série d'étranges photos, de trous d'aération des galeries minières. Elles prennent la forme invraisemblable d’œils de caméléon ou d'autres animaux fantasmagoriques. Pour obtenir ce résultat, j'apprends qu'il dispose son matériel photographique à la nuit presque tombée. Puis sans aucun flash, avec un temps de pose long, il saisit les circonvolutions profondes du sol à l'aide d'une lampe de poche. Comme un pinceau la pellicule révèle le grain de la matière. L'effet est saisissant.

Juste avant les fêtes, quelques mois plus tard, nous nous rencontrons en Europe, autour d'une bière sur la Grande-Place de Bruxelles. A cette occasion Dominique me montre d'autres photographies dont cette ligne infinie d'une voie de chemin de fer privée à travers le désert central de l'Australie (ci-dessus).

Prise d'un pont à la périphérie de Cober Peddy, ce cliché noir et blanc, avec un grain fin, semble évoquer comme l'itinéraire d'une vie, le dépouillement au fil des années, la recherche d'un absolu.
Là où les rails finissent par converger et rejoindre le ciel, figure comme l'incandescence ou couronnement d'une quête existentielle. Cette magnifique photographie, m'apparaît également comme de superbes vœux pour 2015.

dimanche 14 décembre 2014

Sortie du film Charlie's country le 17 décembre en France

Il y a deux mois, je rencontrais Patrick Sibourd, le distributeur pour la France du film Charlie's country. Nous nous étions croisé un peu par hasard avec son équipe de Nour films, dans leurs bureaux près du Père Lachaise. A cette occasion il me remettait un DVD pour visionner le film en avant première et me forger un avis.

Il m'a fallu retrouver les câbles pour brancher à nouveau mon lecteur de DVD, un peu oublié sous la poussière. Miracle il marchait encore et me voilà parti à nouveau pour l'Australie, confortablement assis dans mon fauteuil. Cela me change nettement du périple de 17 000 km réalisé cet été sur les pistes rouges du bush.

La main invisible du cinéaste

Immédiatement je suis frappé par l'image, l'intensité si fidèle de la lumière, comme si ma mémoire me projetait elle-même les images captées cet été dans les territoires du Nord.
Cette impression de familiarité pourrait être liée aux lieux déjà traversés. Mais en réalité c'est autre chose de plus subtile, qui se produit.
Je perçois la main du cinéaste et le jeu de la caméra,  qui saisit l'instant, avec intensité, toute en discrétion, comme si elle n'existait plus. C'est un peu comme si le spectateur devenait lui-même un membre invisible de la scène.
Par moment la barrière entre la fiction et le documentaire semble fragile, tellement les acteurs comme David Gulpilil, apparaissent incarnés, et crèvent l'écran avec leurs nobles visages et leur port hiératique.

Tutoyer la réalité complexe des Aborigènes

Le cinéaste Rolf de Heer a su trouver le ton, pour nous permettre d'appréhender cette fracture Aborigène entre la vie traditionnelle et le monde moderne, entre abandon, errements et engagement auprès des plus jeunes.
A travers le héros David Gulpilil, nous traversons ces différents univers avec humour et gravité dans une sorte de parcours initiatique. Les dernières images sont magnifiques quand Charlie trouve après la prison, sa propre vocation, et se destine à transmettre ses connaissances aux plus jeunes, dans ce cycle infini de générations en générations.

Une parabole philosophique

Ce film d'auteur me semble particulièrement marquant, tant il nous confronte à nos propres contradictions, à nos questionnements intérieurs sur nos choix de vie, au delà des problématiques australiennes, dans une sorte de parabole universelle qui nous invite à prolonger la réflexion.

J'entends encore les rires des Aborigènes, leur façon légère et tragique de traverser les embuches de l'existence. Le temps d'un film, le héros nous a invité au cheminement intérieur de toute une vie.

Si vous souhaitez rencontrer le cinéaste Rolf de Heer, il vous reste une occasion ce mercredi 17 décembre au MK2 Beaubourg, à 20h00.

Réservation nécessaire : http://www.mk2.com/salles/mke-beaubourg

lundi 20 octobre 2014

Intimité et secrets des territoires Aborigènes

Paysages aborigènes - Voile diaphane - Photo de l'auteur

A 80 mètres au dessus du désert Australien, je contemple les territoires Aborigènes. Pas âme qui vive sur des milliers de kilomètres. Comme un parchemin dont on déploie le rouleau, le paysage se révèle, change de couleurs, offre des nuances inattendues. Je passe des heures à la fenêtre de ce frêle coucou, les écouteurs sur les oreilles pour entendre mon pilote.
Tous les deux nous sommes subjugués par la magie des lieux et des questions surgissent. Quels seraient les secrets de la terre Aborigène ?

Une terre aborigène, témoin ?

Cette photo me semble emblématique pour tenter de répondre à cette question. Certaines parties sont cachées par le voile diaphane de nuages de pluie. Les jeux de lumière révèlent et atténuent à la fois les parties perceptibles. Le territoire aborigène semble sensible, ondulant, palpitant et secret.

Durant les années d'initiation, on pourrait dire qu'une grande intimité se noue entre les Aborigènes et les paysages. L'apprentissage leur permettra de mieux comprendre comment les esprits du temps du rêve, ont façonné la terre, inscrit des scarifications particulières, élevé des collines, modelé des rochers, au travers de leurs actes, et d'accidents marquants, mais sans intention réelle.
Ces histoires millénaires, ne sont cependant pas figées dans le temps. Elles s'enrichissent du présent. Les nouvelles générations y apportent des compléments, en fonction d'évènements particuliers, sociaux, climatiques, politiques.
On pourrait ainsi souligner que la terre respire, à travers la grande sensibilité des comédies humaines qui se jouent en son sein, sur des portions immenses de territoire.

L'initiation Aborigène, comme un passeport pour la survie

De façon plus prosaïque, les dizaines d'années d'initiation Aborigènes, consistent également en un "passeport pour la survie". L'homme qui prendra la responsabilité du "clan", doit être en mesure de mémoriser la cartographie des lieux de vie, des sources qui jamais ne se tariront, y compris durant les périodes de grande sécheresse.
Cependant, avec l'exploitation des mines, des phénomènes nouveaux apparurent ces dernières années. Le pompage des nappes phréatiques multi-millénaires, conduise à l'apparition d'une extrême aridité impropre à la vie dans certains territoires aborigènes. La mémoire ancestrale des "water hole" Aborigènes, devient ainsi presque caduque.

Le corps participe à la mémorisation

Ces cartographies complexes s'appuient sur des méthodes pédagogiques assez remarquables comme le chant, la danse, le dessin sur le sable, des peintures sur la peau... Le corps en son entier est convié pour marquer la mémoire et ne pas perdre le fil de l'eau, mais également des plantes comestibles, des herbes médicinales, des règles morales et des tabous.

Néanmoins, l'initiation s'avère aujourd'hui de plus en plus parcellaire. Les anciens disparaissent à leur tour. Une partie d'entre eux disposait encore d'une mémoire connectée, ayant été eux-mêmes nomades dans leurs jeunes années. Ce qui n'est plus le cas des artistes de deuxième ou troisième génération.

De plus les adolescents préfèrent jouer sur les ordinateurs ou aller sur Facebook, et considèrent pour une partie d'entre eux, que toutes ces histoires sont l'apanage des grands-parents, mais pas des nouvelles générations modernes et branchées.
Si à 13 ans, ils ne rentrent pas dans les cycles d'initiation, et reviennent des années plus tard avec remords, bien souvent les anciens refusent de commencer ou de compléter une initiation. Pour eux c'est irrattrapable. C'est une difficulté supplémentaire quant à la pérennité du savoir Aborigène.

De nos jours, les connaissances peuvent être également moins cruciales. Bien peu d'Aborigènes effectuent les périples à pied sur les "pistes chantées". Les 4x4 ont remplacé les jambes. La sédentarisation renverse les niveaux de priorité des connaissances à transmettre. Les lieux sacrés ne sont plus aussi souvent visités. Les Aborigènes les chantent tout de même à distance pour souligner qu'ils ne sont point oubliés et les honorer.
L'initiation devient de plus en plus courte, si ce n'est incomplète.

Donner accès aux bases de données en fonction des droits Aborigènes

De nombreux efforts sont cependant menés pour préserver les langues, les mythes. Des anthropologues les enregistrent et introduisent ce savoir structuré dans des bases de données, avec des informations clefs sur ces civilisations du désert rouge.
Mais les chercheurs se heurtent à des difficultés de taille. La connaissance collectée et capitalisée par Australiens non-Aborigènes, est sensible, en fonction des appartenances à un clan, de son genre, de son niveau d'initiation, des liens de peau entre famille...
Pour que ces outils soient utilisés pour transmettre la connaissance dans le futur, en respectant la culture Aborigène, il conviendrait d'introduire des codes d'accès très spécifiques et fragmentés, en fonction des droits complexes des acteurs. Les liens sociaux, les tabous, régenteraient l'architecture des droits de la base de données. Quand je pense au modèle mathématique en trois dimensions utilisé par Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, pour illustrer les liens de peau, il semble que cela soit un casse-tête pour informaticien.

Des initiations aborigènes pérennes

Il existe cependant sur cette île continent des endroits où cette dynamique d'initiation fonctionne encore de façon efficiente.
Un Aborigène rencontré dans les territoires du Nord, partageait avec moi la fierté d'être en phase d'initiation, dont plus de 6 mois passé dans le bush. A travers ces périodes, ayant eu l'occasion de révéler ses propres talents, il commençait à exprimer sa spécialisation à travers des scarifications rituelles sur son buste. Je songeais aux photos du début du XXe siècle en noir et blanc, figurant ces hommes hiératiques, aux bustes striés, dans les allées du Musée d'Adelaïde.

Lors de discussions avec l'artiste Daniel Walbidi, je comprenais que les toiles de ses jeunes années s'avéraient aujourd'hui sensibles, et qu'il était sans doute délicat de les présenter. Aujourd'hui initié, il perçoit combien il utilisait des symboles réservés dans ses toutes premières œuvres.
C'est intéressant de considérer que la toile d'un jeune ou adolescent, peut ainsi disposer de façon franche, de signes et symboles délicats, perçus en côtoyant les anciens, en observant leurs gestes, leurs dessins sur le sable, ou ce que les plus âgés ont bien voulu partager.

Sur un autre terrain, je fus également assez saisi par des toiles d'un artiste de Fregon, muré dans son silence, dans un autre univers et venant peindre de temps à autres, avec des figures fortes et simples. Dans son monde à lui, il partage néanmoins par l'entremise des peintures, sans parler avec les coordinateurs du centre d'art, ni les autres artistes.
Le résultat transcrit semble brut, peut-être naïf, et ne comporte aucun ajout, ou fioritures. Les symboles et signes graphiques épurés éclatent dans toute leur puissance. C'est assez saisissant.

L'expression artistique de ce peuple nomade Aborigène emprunte de multiples chemins et ne cesse de me réjouir.





lundi 6 octobre 2014

Prochaine exposition de l'AAMU à Utrecht : BLAK. Forced into image


© Christian Thompson - Howl for your trouble
Extrait du site web de l'AAMU

Le musée Aborigène d'Utrecht s'apprête le 12 octobre prochain à lancer une exposition audacieuse sur le thème : BLAK, Forced into images, avec six artistes d'origine indigène, tutoyant de nouveaux médias comme la photo et la vidéo.
Ce terrain d'expression artistique aborigène, plus urbain, reste encore pour une majeure partie, inconnu du grand public en Europe. Et pourtant les Aborigènes se sont aussi emparés de ces nouveaux supports artistiques, que ce soit dans les media-center des communautés Aborigènes, ou au sein des villes Australiennes.

J'avais rencontré l'artiste Christian Thomson, lors du vernissage de l'exposition mémoires vives, au musée d'Aquitaine à Lyon. Ses talents de chanteur, son charisme avait enchanté les participants à l'évènement.
Dans une démarche peu commune, chez des aborigènes plutôt réservés, il utilise son corps et son visage, pour le mettre en scène, avec des photos fortes, en partie provocantes. Les mises en scène sont étranges, entre nuage visible et invisible, des fleurs en guise de regard, des maquillages surprenants jouant avec l'or et le kaolin, qui tous questionnent la notion d'identité.

Ce thème de l'identité sera d'ailleurs au coeur de l'exposition BLAK d'Utrecht. Elle souligne des dimensions sensibles, en phase avec l'actualité souvent brulante sur le sujet en Europe :
  • L'identité est-elle définie par les origines, l'éducation, la couleur de la peau ?
  • Comment est-on perçu dans un monde où les concepts de nationalité, et de communautarisme deviennent de plus en plus marqués ?
  • Comment ces différents concepts peuvent conduire au racisme, à la discrimination, en Australie, mais également en Europe ?
A travers cette exposition, le musée d'art aborigène d'Utrecht confirme une programmation singulière, ambitieuse, qui interroge, challenge notre propre perception de l'art aborigène face aux enjeux de sociétés, et y renforce un dialogue dynamique avec l'art occidental contemporain.

Cette expo mérite le détour, même si certains amateurs ou collectionneurs seront déroutés par ces nouveaux médias. Nous sommes loin des pigments naturels des territoires du nord, de l'acrylique et du pointillisme du désert central.

Cet art urbain, ouvre la porte à une nouvelle génération d'artistes, à la frontière entre deux cultures, plus intégrés dans la société australienne, aiguisant par là-même un message plus perçant et provocant.

dimanche 5 octobre 2014

Un ABECEDAIRE de l'art aborigène d'Australie

Au fil des billets sur ce blog "Sur les pas d'une collection", différents thèmes furent traités, dans l'esprit d'un ABECEDAIRE sur l'art aborigène d'Australie.

Plus de 450 billets furent partagés, souvent avec un regard personnel, une vision enthousiaste, et également une lecture pragmatique et critique de ce mouvement artistique, de ses excès ou tendances de fond, selon les points de vue d'un européen.

En échappant à une approche académique, pendant 10 ans j'ai partagé avec vous cette passion continue, pour cet art essentiel, avec la simplicité et spontanéité d'une rencontre avec ces toiles des derniers peuples nomades.

In fine, j'ai évoqué au cours des années, les découvertes d'artistes émergents ou plus confirmés, inventeurs d'un des grands mouvements d'art contemporain du XXe siècle, dont les œuvres sont collectionnées par les plus grandes institutions.

Loin de moi l'idée de reprendre ici tous les billets du blog. J'aimerais partager avec vous, à travers un ABECEDAIRE de l'art Aborigène, les articles les plus marquants, éventuellement les plus consultés, offrant un regard singulier sur ce mouvement artistique :

A comme Astronomie


Entre ciel et terre : l'Astronomie Aborigène

B comme tomber dans le Bain


Qu'est qui a provoqué votre intérêt pour l'art Aborigène ?

C comme Conférence


Conférence à Bruxelles : place de l'art aborigène dans les musée d'art contemporain
Conférence à Paris : qu'est-ce que collectionner l'art premier (Association détours des Mondes)
Collectionneurs européens abandonnés
Conférence à Bruxelles : naissance du mouvement d'art aborigène, aux grands prix contemporains
Conférence à Bruxelles : des origines du mouvement
Conférence à Bruxelles : Initiation à l'art aborigène

D comme Découverte...


... dans l'outback : Donne moi la main,
et Magie de la terre Australienne

E comme Expositions marquantes


Vernissage de l'exposition Mémoires Vives à Bordeaux : une histoire de l'art aborigène
Vernissage de l'exposition Papunya au Musée du Quai Branly
Exposition Be My guest à Utrecht : 10 encounters with Aboriginal art
Exposition "Breaking with traditions : Cobra and Aboriginal art" à Utrecht
Exposition musée d'Allauch : art aborigène

F comme place des Femmes dans l'art aborigène


Journée de la femme : une collection sans égalité
Cérémonie féminine de Ningura.

G comme Galuchat


Utopia : l'age d'or du pointillisme à un effet de Galuchat

H comme Horizon


40 ans, un bail pour un mouvement d'art contemporain : impact sur le marché de l'art aborigène

I comme acteurs Aborigènes Intemporels


Décès de l'artiste Ningura Napurrula
Décès de l'artiste Weaver Jack

J comme Jugement de l'art Aborigène


Jugement de l'histoire de l'art : exposition Aborigène à Eurantica à Bruxelles
L'art Aborigène doit-il être élitiste ?
Dilemme de l'art Aborigène face à la consommation d'art contemporain
Que trouves-tu de fascinant dans l'art aborigène ?
Les Aborigènes ont-ils le droit d'entrer dans l'art contemporain ?

K comme Knowledge Aborigène


Ne faisons pas de l'art Aborigène, un nouveau Lascaux
Choisir entre transmission du savoir et partage de connaissances ?

L comme Laverty


Décès du grand collectionneur Colin Laverty

M comme exploitation Minière


Culture aborigène et exploitation minière : débat

O comme Origine


Origine et provenance d'une Collection

P comme Prospective de l'art Aborigène ?


Evolution de l'art Aborigène dans les prochaines années ?

R comme Rupture inventive Aborigène


L'artiste Sally Gabori : un panache inventif
Evolution du style dans l'art aborigène

S comme Signes Aborigènes


Universalité des signes aborigènes entre Europe et Australie
Mieux comprendre les signes Aborigènes

T comme Territoires Aborigènes


Vision fractale aborigène : la complexité des territoires
Individualités et talents émergents : Mangkaja - Sonia Kurarra

U comme Utrecht capital européenne de l'art Aborigène


Exposition country to coast

V comme Vente et Valeur


Vente d'une partie de la collection Laverty
Comment se construit la valeur d'une toile aborigène ?

W comme Daniel Walbidi


L'émergence d'un talent : Daniel Walbidi.
Il vient juste de gagner le prix peinture du dernier Telstra National Aboriginal & Torres Strait Islander Art Award.

jeudi 31 juillet 2014

Donne moi la main

Main positive sur des falaises autour de Oenpelli. 
Territoires du Nord. Australie. © photo de l'auteur.

Il y a 20 000 ans...

Cette rare main positive sur la roche près de Oenpelli, pourrait être touchée. Nos mains pourraient se glisser dans la forme intacte sur la roche. Elle est un témoignage fragile, émouvant, unique, d'une œuvre apposée par un homme il y a presque 20 000 ans selon les dernières datations.

Face à elle, j'ai le sentiment d'une invitation, d'une passerelle entre deux mondes, d'une poignée de main à travers les siècles, comme une parole par le geste, mimétique, pour exprimer au delà des langues, des civilisations, un lien fort et spirituel.

Mains négatives. Parc national du Kakadu.
© Photo de l'auteur.

Un langage des signes ?

Les mains négatives plus fréquentes dans l'art parietal, à travers tous les continents offrent une myriade de nuances. Des doigts effilés, des mains tronquées, amputées, empâtées, suggèrent un langage des signes dont la grille de lecture s'est malheureusement perdue.

Art urbain aborigène. 
Revendication et musique dans la ville de Wyndham.
© Photo de l'auteur

Tags Aborigènes

La main aborigène retrouve une expression plus contemporaine dans des tags, dans les rues des villes du nord de l'Australie comme à Derby ou Wyndham. La combinaison du drapeau aborigène dans une main suggère une signature, la revendication d'une identité et renforce un symbole ancestrale.

Art Aborigène
Au pied du crocodile géant de Wyndham, des mains et pieds positifs.
© Photo de l'auteur.

Mobilier urbain adopté par les Aborigènes

Un peu plus loin dans la ville, à l'entrée du bourg de Wyndham, des mains positives sont appliquées sous la mâchoire géante de la statue du crocodile, comme pour l'apaiser, le remercier, ou vénérer le totem de quelques initiés. Le mobilier urbain se commue en œuvre d'art éphémère puissante.

Mains tracées et mains négatives. Région de Oenpelli.
© Photo de l'auteur.

L'art des mains a trouvé des expressions contemporaines jusque dans les années 1960, y compris sous la forme de tracés plus tardifs. Les archéologues des différents continents sont venus observer les techniques de peinture des artistes aborigènes : application, pulvérisation, jet de colorant soufflé, pochoir, traits plus figuratifs... Les champs sont vastes. Cela éclaira judicieusement les techniques également pratiquées par nos hommes du paléolithique.

Espace jeune à Warmun. Mains négatives.
Réalisation contemporaine par des adolescents.
© Photo de l'auteur.

Au petit matin vers 5h30 du matin, je pars arpenter la communauté pour saisir quelques clichés des murs entrevus le jour précédent, en particulier dans les espaces dédiés aux jeunes. La main omniprésente s'exprime au milieu des tags, et des symboles et marques contemporaines comme Nike.

Studio de la communauté de Mangkaja. 
Mains positives. © Photo de l'auteur.

Les noms des artistes, contributeurs, se mélangent dans un chaos indescriptible, ponctué par des mains positives blanches au dessus de l'évier, sur le mur extérieur du studio de la communauté de Mangkaja.

Communauté de Warakurna, à deux pas du studio. 
Mains positives. © Photo de l'auteur.

La force expressive des "bombes" de peintures sur la tôle, se trouve ponctuée par des mains positives aux couleurs du drapeau aborigène. Des lignes apparaissent, d'autres mains offrent comme une danse.

Route proche de la communauté de Warmun.
Main négative au pochoir. © Photo de l'auteur.

La main comme mémoire ?

L'expression contemporaine des mains aborigènes conquiert de nombreux supports y compris sur les routes comme ici près de Warmun. Le sens de cette apposition reste abscons. Cependant tout près de là un père a perdu son fils sur cette route. Plus loin des fleurs sont disposées.

Cette main magnifique souligne la chair, la carnation, la densité de la main du vivant, le lien fort sans doute avec un fils disparu, les ancêtres sur des millions de générations.

mardi 29 juillet 2014

Magie de la terre Australienne

L'expérience de la terre Aborigène

Il me manquait la découverte intime avec la terre Australienne, au delà des grands paysages, ou monuments emblématiques de cet île continent. Cette expérience de la terre que l'on goûte avec son palais d'enfant, ses doigts poussiéreux que l'on suce, cette odeur minérale étrange qui remplit le nez comme après l'orage d'un été.

© photo de l'auteur

Il me manquait le toucher du grain de cette peau rugueuse décomposée, carbonisée, brillante du mica au centre, lissée par des millions d'années d'érosion plus au nord, poreuse en mémoire des alluvions des anciens fleuves compressés vers le sud.

© photo de l'auteur

Le silence des immenses espaces

 Il me manquait le bruissements des feuilles desséchées par le soleil, les cris des cacatoès, l'accélération du lézard qui s'enfuit, le craquement sourd et inquiétant d'un eucalyptus grignoté sans fin par les termites gourmandes, le claquement sec de la roche refroidie après l'épreuve du jour. Ce silence des immenses espaces et l’importance accordée à la rencontre.

© photo de l'auteur

Il me manquait la lumière incandescente brûlant le pays, les roches cramoisie dés que la nuit s'annonce, avec pudeur, sous la langoureuse caresse des ancêtres fondateurs du monde.

Après deux mois en Australie et 13000 kilomètres parcourus sur les routes et dans les airs je reste marqué par la graphie géologique vue du ciel, œuvre du pinceau audacieux d'un improbable géant.

© photo de l'auteur

Scarification des dunes

La conjugaison des scarifications des dunes offre une alternance de rythmes, presque musicaux dans un balancement spatial. Leurs figures, enchaînements, perdurent, juste ombrés par une rare végétation.

Les aborigènes m'ont éveillé à la magie de leur territoire, par l'entremise de leurs peintures. Leur lecture artistique contemplative, narrative, mémorielle trouve dans une vue d'avion une transcription plus intime. Leur grammaire picturale et visions m'invitent à capter les nuances, les enchevêtrements, les harmonies, les chaos et les figures aléatoires presque fractales au sol.

© photo de l'auteur

Comme une graphie terrestre

En deux jours, je suis passé d’un périple à 80 mètres d'altitudes, à travers le pays, pour ensuite flirter avec les 3000 mètres. La graphie terrestre bouleverse la vision de l'espace, parle comme un autre langage et incarne les folies des créateurs.

Des mers de sel intérieures éclairent l'horizon. C'est spatial, lunaire, déconcertant.
Des espaces immenses, sans aucune végétation, offrent des nuances pastel, et dessinent l'empreinte d'un monstre, ou flirtent avec les jets de peinture de Pollock.

© photo de l'auteur

L'aléatoire, s'offre le luxe d'une composition harmonique. J'aime la partition musicale de la terre Aborigène, comme le son sourd des forces telluriques. En clignant des yeux, je perçois presque comme un mouvement, une ondulation de la surface. La terre vibre, capte le regard, offre un terrain d'évasion dans les moindres circonvolutions.

© photo de l'auteur

Les routes en terres Aborigènes pleurent avec l'érosion

Les routes de sables rouges tracées par l'homme au cordeau pleurent sur des kilomètres sous l'effet de l'érosion, comme des veines écorchées qui jamais ne cicatrisent.
A travers ces visions terrestres je comprends mieux la peinture des grands anciens... Au cœur du désert leur âme d'artiste semble lire l'invisible, décoder les fantômes en halo autour des rochers, les cris oubliés des ancêtres, la mélodie des pistes qui relie les lieux...

D'autres vues des déserts liés aux territoires Aborigènes ici.

© photo de l'auteur


samedi 3 mai 2014

Exploitation minière et respect de la culture Aborigène

Vernissage musée art aborigène Utrecht AAMU
Visite privée du musée d'Art Aborigène d'Utrecht. Exposition Country to Coast, colors of the Kimberley.
De gauche à droite : Georges Petitjean, conservateur du musée. Alan Davie, CEO de Rio Tinto Diamonds and Minerals. 
Jan Hendrikus Cornelis van Zanen, maire de la ville d'Utrecht. Mike Anderson, directeur de l'AAMU.
Photo : auteur du blog.

Billet de train en poche, je pars quelques jours sur Utrecht, saisissant l'occasion d'une invitation de Mike Anderson directeur de l'AAMU et de Hans Sondaal, président du board.  Le musée nous ouvre ses portes pour un évènement nocturne et privé, avec différentes personnalités, des sponsors, collectionneurs, les équipes et le staff du musée.

Combats entre compagnies minières et communautés Aborigènes

La présence du CEO de Rio Tinto Diamonds and Minerals, comme sponsor de l'exposition est une découverte pour moi. De prime abord, cela me surprend. Je garde en mémoire, de nombreux projets controversés et des combats en Australie entre les compagnies minières et les communautés aborigènes.

En particulier la lutte de Jeffrey Lee, pour faire classer une zone de plusieurs dizaines de kilomètres carrés convoitée par l'entreprise Areva et ainsi y éviter l'exploitation de l'uranium. Il obtint gain de cause auprès de l'Unesco, avec le classement de cette terre au patrimoine mondial de l'humanité et son rattachement au parc national de Kakadu.

Engagement de la compagnie Rio Tinto

J'appréhendais donc cette rencontre avec quelques questions, en particulier sur la comptabilité d'une exploitation minière avec le respect des cultures des Aborigènes. 
Et je fus positivement surpris par l'engagement de la compagnie Rio Tinto et de son CEO, à construire depuis 1996 un plan de reconciliation avec le peuple aborigène, dont les actions portent de façon large sur :

  • la gestion et le partage des bénéfices tirés des mines
  • l'embauche, la formation
  • la protection de l'héritage culturel, de la gestion de la terre
  • une gestion et protection environnementale
  • des formations culturelles transversales
  • différents supports pour de nouveaux projets
Leur vision pragmatique et engagée semble porter des fruits des deux côtés, autant aborigènes, que pour la compagnie Rio Tinto. Et visiblement cet engagement ne se limite pas à l'Australie mais embrasse également leurs différents projets au Canada.
C'est dans cette dynamique positive que s'inscrit la subvention par Rio Tinto de l'exposition de l'AAMU "Country to Coast, colors of the Kimberley", ouverte jusqu'en octobre 2014.

Au fil de la visite, j'ai remarqué l'intérêt des représentants de cette compagnie pour les toiles exposées, prenant le temps de les contempler, comme de réagir aux explications données par le conservateur Georges Petitjean.
Certains acteurs de l'entreprise étaient il est vrai particulièrement sensibilisés à cette forme d'art, ayant travaillé dans le passé au sein de communautés Aborigènes, et étant eux-mêmes des amateurs d'art Aborigène.

C'était intéressant de percevoir, au delà des clichés véhiculés en Europe, les liens et partenariats intelligents qui peuvent se nouer entre acteurs traditionnels aborigènes et compagnies internationales.
Un travail de dialogue, d'écoute, et de partenariat constructif, qu'il m'avait semblé par exemple ne pas déceler dans la démarche d'autres entreprises françaises au Niger, lors d'un périple avec des Touaregs issus de la rébellion, avant le basculement du Sahara dans le chaos.

Universalité de l'artiste Paddy Bedford

Art Aborigène : Paddy Bedford
Paddy Nyunkuny Bedford (c1922 - 2007). Dolly Hole, 2006.
Pigments naturels avec un liant synthétique sur du lin.
122 x 135 cm. Jirrawun Aboriginal community.
© Collection Brocard - Estrangin

Peut-être existe-t-il des évènements dans la vie qui nécessitent un tatouage sur le moment. Pas au sens littéral du terme bien entendu. Je n'ai jamais envisagé de me faire tatouer, bien que je trouve extraordinaire les marques sur la peau du peuple Maori, ou les plus anciennes traces chez les Egyptiens et Otzi, l'homme des glaces.
Néanmoins je comprends cette démarche de "peinture sacrificatoire", qui marque pour toujours, jalonne des instants de vie, sert de puits mémoriel à l'individu comme à son cercle social proche. Les tatoués inscrivent à fleur de peau ce qui compte, l'émotion d'un choix qui perdure à jamais.

Des peintures tatouages ?

Je crois qu'il existe aussi des peintures "tatouages", des œuvres marquantes, incontournables, en respiration avec le cheminement d'un collectionneur, en résonance avec sa propre vie et les éventuelles épreuves et changements rencontrés.

Il y a sept ans, j'avais bien repéré l'artiste Paddy Bedford mais je crois que je n'étais pas prêt... Pas encore assez mature...
Il me fallait passer par d'autres chemins, tutoyer d'autres dimensions du mouvement artistique aborigène, m'essayer à la couleur, explorer d'autres individualités avant d'aller vers lui.

Je me suis donc éloigné... puis il disparut en 2007. Ses oeuvres me semblaient alors encore inaccessibles à plusieurs niveaux.
J'avais eu néanmoins l'occasion de parcourir le superbe catalogue de la maison de vente Bonhams, totalement consacré à Paddy Bedford le 21 Novembre 2011.
Il y avait eu également la superbe exposition "Crossing frontiers", la première en Europe, dédiée à Paddy Bedford. Elle fut montée au Musée d'art Aborigène d'Utrecht en 2009, grâce au travail en commun du galeriste William Mora en charge de sa succession, et du conservateur Georges Petitjean.

Signature d'un tournant avec l'artiste Paddy Bedford

Puis je crois que l'arrivée de certains changements dans une vie, méritaient une signature.
Face à des tournants, des fractures apparaissent comme autant d'opportunités pour reconstruire l'ossature...
La remise à plat des fondamentaux, le dépouillement nécessaire s'invite pour ré-inventer un autre itinéraire...
Des questions quelque fois sans réponse immédiate, laissent le temps à la recherche d'une nouvelle voie...

Sur ce chemin de découverte, me voilà peut-être aujourd'hui cheminant vers le puits profond du Dolly Hole, représenté sur cette toile. Il constitue une source de vie clef dans le désert, avec l'espoir de pouvoir s'y désaltérer, de s'y purifier, de s'y ré-inventer...

Le langage de cette peinture ne nécessite pas une introduction à la culture aborigène. Elle parle sans doute par elle-même par la force d'une palette minimaliste noire et blanche, ponctuée par des effets de voile tout en transparence.
L'apparente simplicité offre d'autres niveaux de perception, à travers la profondeur des nuances grises et bleutées, comme un bouillon de vie primordial, un songe qui s'élève au dessus du puits...

Le contraste tranché des formes, ourlées d'un pointillisme blanc, pourrait s'apparenter comme sur d'autres toiles, à la volonté de marquer les plus beaux instants de l'Homme, comme les plus dramatiques avec les massacres dont la mémoire de l'artiste porte la trace.

Voile sur l'immensité des espaces Aborigènes

Ces formes évoquent également au delà du Dolly Hole, situé à Bedford Downs station, la dureté du territoire et de ces espaces désertiques, et l'altérité possible entre le féminin et le masculin, dans cette complémentarité offrant un riche dialogue porteur de vie.
Le voile nacré supérieur nous invite à la méditation sur l'immensité des espaces, sur l'univers des possibles, sur une vision au delà du temps qui passe, sans limite, presque éternelle et universelle.

Réalisée un an avant la mort de l'artiste, cette toile m'apparaît ainsi comme un jalon, un tatouage, une scarification positive, une invitation nouvelle pour marquer ce chemin sur les pas d'une collection, débuté il y a exactement dix ans et planter ainsi une nouvelle pousse.

Jeux d'images comparables avec Google

Au détour d'une recherche de photos similaires à partir de cette peinture sur Google image, je fus séduit par les propositions étonnantes du moteur de recherche. Je ne connais pas l'algorithme génial, mais le résultat est étonnant et invite à d'autres dialogues graphiques et visuels dans une démarche universelle où l'art parle indéfiniment.

Extrait d'une recherche image Google, à partir de la toile Dolly Hole de Paddy Bedford.
Dialogues visuels.


mardi 29 avril 2014

Granulosité du pinceau terrestre de l'artiste Jan Billycan : ceci n'est pas une toile !



Art Aborigène : artiste Jan Billycan


Vue A : Partie 2 d'un triptyque de l'artiste Jan Billycan. 
Avec un éclairage rasant soulignant la texture.
Communauté de Bidyadanga.
Titre : Kirriwirri. 90x60 cm.
© Collection Brocard - Estrangin

Le retour des peintures aborigènes prêtées à la remarquable exposition "Mémoires Vives" organisée à Bordeaux par les conservateurs Paul Matharan et Arnaud Morvan, m'a conduit à revoir la disposition de certaines toiles, et leur éclairage.

L'éclairage comme une fenêtre plus intimiste sur une toile Aborigène

Et quelle découverte ! La lumière rasante des nouvelles LED souligne le soir une myriade de grains fins sur un triptyque de l'artiste Jan Billycan. Ce nouvel angle de vue offre une fenêtre plus intimiste de la toile, avec un niveau de détail, proche du terrain. On y devine le bruissement du sable. La tentation est grande d'y passer la main, de fermer les yeux, de ressentir cette granulométrie microscopique du territoire.

Au sein même d'une peinture aborigène, représentant bien souvent d'immenses espaces, nous touchons ici à l'opposé, au particulier. L'artiste a volontairement souhaité se reconnecter à la terre, en incorporant dans l'acrylique les grains d'un endroit précis et symbolique. J'imagine Jan Billycan choisissant un sable proche des couleurs de son lieu de naissance avant de procéder au mélange, pour fixer le lieu, l'histoire, et sa mémoire sensorielle sur cette toile.

 art aborigène - Jan Billycan

Vue B : Triptyque complet de l'artiste Jan Billycan.
Avec un éclairage rasant soulignant la texture.
Communauté de Bidyadanga.
Titre : Kirriwirri. 90x183 cm.
© Collection Brocard - Estrangin

Cette proximité graphique et sensuelle avec son lieu de naissance dans le désert est touchante, d'autant si l'on songe au déracinement de la communauté de Bidyadanga, ayant quitté leurs espaces tribaux, inhospitaliers en raison des sécheresses multiples, pour la région plus vivable près de Broome.

Vue C : Triptyque complet de l'artiste Jan Billycan.  
Avec un éclairage classique ne révélant pas les effets de texture
Communauté de Bidyadanga.
Titre : Kirriwirri. 90x183 cm.
© Collection Brocard - Estrangin

L'artiste Jan Billycan, en représentant ici Kirriwirri, évoque l'ouest du puit 33 sur la Canning Stock Route d'où elle est originaire. Un projet collaboratif grandiose "The Canning Stock project road" a par ailleurs été lancé en 2006 par l'organisation caritative FORM "Building a state of creativity". Il a conduit 120 aborigènes des communautés proches de cette route, à partager leurs histoires ancestrales, les lieux et implantations, dans une démarche complète à la fois artistique et de partage de connaissances.

L'art Aborigène ne se résume pas aux points

Lors d'une discussion en 2010 avec la directrice d'IDAIA, Solenne Ducos Lamotte, spécialiste de l'art aborigène à Sydney, nous évoquions le fait que le travail de Jan Billycan n'est pas toujours d'un accès facile et immédiat. Point de points, des traits plutôt gras, intuitifs, marqués. Les dunes de sable suggérées électrisent la toile et offrent un relief particulier aux Jila (eaux jaillissantes). Si j'y ressens une dynamique presque tellurique, une liberté du geste, la force du mouvement, je reconnais en revanche que tout est là pour dérouter l'amateur d'art aborigène, tant on est loin des canons du schéma classique du "pointillisme" attendu.

Une nouvelle grille de lecture d'une toile Aborigène

Je me réjouis aujourd'hui de découvrir dans cette toile une nouvelle profondeur et grille de lecture, à travers une texture sablée, du général au particulier, de la vue spatiale au plus petit grain de terre.
Allez, finalement je ne résiste pas à y passer la main. C'est souvent une inquiétude quand on prête une toile. Que la tentation soit grande pour beaucoup de toucher et d'altérer le support. Mais je m'y autorise pour une fois en fermant les yeux...

... L'alliance de la peinture sur bois et de cette granulosité, offre une première appréhension rugueuse. Il n'y a pas la fluidité du sable, mais l'impression cachée d'un rocher, un peu comme ces parois de grès que je pouvais grimper tout jeune sur "l'éléphant" dans la forêt de Fontainebleau.
Un jour peut-être des fac similés de ces oeuvres seront accessibles aux non-voyants dans des musées. Si les couleurs seront difficilement perceptibles, ils pourront néanmoins expérimenter ce voyage intérieur vers un territoire, en suivant les pas tactiles du pinceau terrestre de l'artiste.

Une toile Aborigène comme un objet en relief

Cette approche du support me fait songer à un entretien avec le conservateur du Musée Aborigène d'Utrecht, Georges Petitjean, au sujet de l'artiste co-fondateur de Papunya Ronnie Tjampitjinpa. L'ayant vu peindre à plusieurs reprises, il avait été surpris par sa façon d'appréhender la toile. Au fil de sa peinture, l'artiste s'arrêtait, prenait la toile en main, posait sa tête à une extrémité afin d'avoir une vue rasante des motifs, et de leur effet visuel. On peut imaginer la toile qui quitte un support plan, pour devenir un objet plus complexe à travers la volonté de l'artiste, par l'entremise d'un motif vibrant travaillé sous différentes dimensions, prenant du relief, comme se détachant de la peinture. A tel point que l'on pourrait dire avec humour, à la façon de Magritte en son temps : ceci n'est pas une toile !
Ce qui est visible n'est peut-être qu'illusion sur cette toile. Peut-être le sens profond de l'oeuvre, à travers d'autres dimensions suggérées, adopte un autre langage, ouvert aux seuls initiés.

Vous pouvez d'autres œuvres de l'artiste Aborigène Jan Billycan ici.